Dener Ceide

Dener Ceide naît à Cherettes, une localité de Saint-Louis du Sud en 1979. Artiste dans l’âme,

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La seule institution étatique pour la formation des enseignants en détresse

La seule institution étatique pour la formation des enseignants en détresse

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Contraint de fuir ses locaux pour échapper à la fureur des gangs, le Centre de formation pour l’école fondamentale risque la mort.

Il était 3 heures de l’après-midi, ce mardi de juin 2021 quand une pluie de balles de gangs en fureur s’abat sur le Centre de formation pour l’école fondamentale situé à proximité du sous-commissariat de Martissant. Des cris de détresse s’élevaient dans tout l’établissement.

Depuis, comme plusieurs autres institutions anciennement logées à Martissant, le CFEF se trouve contraint d’abandonner son local de plus de deux décennies. Après maintes négociations avec les responsables du ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle afin de sauver ce qui restait de l’année académique, la seule institution étatique de formation des enseignants pour les trois cycles du fondamental dans le pays s’est réfugiée à l’École nationale Guillaume Manigat de la rue Chareron.

Ce répit sera de courte durée, cependant. Le CFEF vient d’être expulsé de son local d’accueil à cause de la reprise des activités scolaires à Guillaume Manigat le 21 septembre dernier. Le MEFNP promet un nouveau local, mais les responsables de la structure confirment que rien de concret ne se trouve encore sur la table.

« Jusqu’à présent, on attend », précise Frid Bien-Aimé, directeur de l’institution, lors d’une entrevue accordée à AyiboPost.

« Cette situation est très inquiétante », se plaint Holsin Pauris, président du collectif des Cfefiens. Le CO-CFEF regroupe plusieurs dizaines d’anciens et actuels étudiants du CFEF. « L’éducation est trop négligée dans ce pays, dénonce Pauris. Une institution aussi importante que le CFEF ne doit pas se trouver dans les rues. Nous avons besoin d’un nouveau local pour nous former ».

La rédaction d’AyiboPost a essayé d’entrer en contact avec des responsables du MENFP. Ils refusent de se prononcer sur la question.

Un CFEF par département

Placé sous la tutelle du MENFP, le CFEF prend naissance le 10 juin 1999. L’institution doit « assurer le recrutement et la formation des enseignants des trois cycles de l’enseignement fondamental », selon une décision ministérielle.
« Selon le projet initial, il devrait avoir un CFEF dans chaque département du pays, selon Frid Bien-Aimé. Malheureusement, il n’en existe qu’un seul. Et l’institution est traitée en parent pauvre par le MENFP, dénonce le directeur. Nous n’avons pas de budget ni de frais de fonctionnement depuis plusieurs années. Nos professeurs sont des contractuels payés par la direction générale du MENFP. »

L’éducation ne fait pas partie de la priorité des autorités gouvernementales. Seulement 11 % du budget national sont alloués à l’éducation dans l’exercice fiscal de 2020-2021.

Les chiffres d’un rapport du Ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle (MENFP) publié en décembre 2013 indiquent que seulement 12 % des établissements scolaires des cycles de l’enseignement fondamental sont publics.

La majorité des institutions privées ne fournissent pas une éducation de qualité. Les professeurs sont peu qualifiés.

Une zone rouge

Martissant compose la 3e section communale de Port-au-Prince. C’est une zone très dense — plus de 295 000 habitants pour une superficie d’à peine 8,85 km2 — selon l’estimation de la population réalisée par l’Institut haïtien de statistique et d’informatique, en 2015.

Situé à l’entrée sud de la capitale, entre le morne l’Hôpital et la mer, Martissant a été pendant les années de 1950 une zone résidentielle.

À l’heure actuelle, la zone est subdivisée en plusieurs quartiers précaires. Ajouté à la misère, la densification, l’insalubrité et l’exclusion, une bonne partie de Martissant est contrôlée par des groupes armés. Des quartiers comme Grand-Ravine et Petit Bois sont des territoires ennemis qui s’affrontent régulièrement.

« À cause de cette situation, plusieurs professeurs de qualité n’ont pas signé de nouveau contrat avec le CFEF, se lamente Holsin Pauris. Les jeunes s’intéressent de moins en moins à l’institution. Avant la situation d’insécurité qui sévit dans le quartier, ils étaient plus de 400 postulants à passer le concours d’admission. Au dernier concours, l’effectif côtoyait à peine 200. »

Frid Bien-Aimé porte un avis sensiblement différent. Professeur de mathématiques à l’UEH et à d’autres universités privées, enseignant au CFEF depuis octobre 1999, il est nommé directeur en 2018.

Lire aussi: Martissant n’est pas en paix, malgré les garanties données par les gangs

« En dépit de la situation de la zone, les professeurs viennent toujours travailler, mentionne le responsable. Le CFEF représente la plus grande institution tant privée que publique de la troisième section communale de Port-au-Prince. L’institution est négligée, mais 70 % des étudiants sont de la zone et des quartiers environnants ».

Des institutions en détresse

Se placer à proximité du Palais de justice, du parquet de Port-au-Prince, de la Primature et du Parlement ne constitue pas pour autant une garantie de sécurité en Haïti. La recrudescence de la violence à Martissant et au Bicentenaire avait obligé certaines institutions, bien avant CFEF, à vider les lieux.

Le Centre de Techniques de planification et d’Économie appliquée (CTPEA) se trouvait à l’angle de la Rue Joseph Janvier et du Boulevard Harry Truman. Depuis sa création en 1983, l’institution universitaire placée sous la tutelle du ministère de la Planification et de la Coopération externe se trouve au Bicentenaire, raconte un de ses anciens étudiants, actuellement professeur à l’UEH.

Depuis juin 2019, une partie de la zone est abandonnée par les riverains. Ils sont plus de 20 000 à avoir pris la poudre d’escampette, selon un rapport de l’Organisation des Nations unies.

Le CTPEA n’a pas eu d’autres choix : abandonner la zone, bien avant le début des conflits sanglants. Pour boucler l’année académique 2018-2019, les étudiants suivaient des cours dans trois établissements différents : la Direction des études post-graduées de l’UEH, l’Institut des hautes études commerciales et économiques et l’Université Quisqueya.

Fermé définitivement en mars 2020, en raison du Covid-19 qui menaçait le pays et faute de trouver un local approprié pour poursuivre ses activités académiques, le CTPEA a pu rouvrir ses portes après plus d’un an d’inactivité dans un local à Bourdon.

Outre le CTPEA, en novembre 2019, l’Institut haïtien de statistique et d’informatique (IHSI) a dû dire adieu au bâtiment qui le logeait depuis sa création au Boulevard Harry Truman sur le Bicentenaire.

L’institution est négligée, mais 70 % des étudiants sont de la zone et des quartiers environnants

L’IHSI est un organisme déconcentré du ministère de l’Economie et des Finances fondé lors du 1er recensement de la population haïtienne en 1950. Il s’agit de la principale institution étatique responsable des recensements et chargée de fournir les données statistiques clés sur le pays.

À l’heure actuelle, les employés de l’IHSI sont répartis dans trois bâtiments différents : Delmas 83, au local de l’OIM à Tabarre et dans le building de la Digicel à Turgeau.

L’organisation médicale Médecins sans frontières a aussi abandonné le climat de violence du Bicentenaire. Prise pour cible par une attaque armée, le 26 juin 2021, craignant pour son personnel et ses patients, l’organisation a dû suspendre provisoirement les activités du Centre d’urgences de Martissant avant de fermer définitivement ses portes le mois d’août 2021.

Médecins sans frontières était installée à Martissant depuis 2005. Actuellement, le Centre d’urgences est relocalisé dans les bâtiments de l’ancien Centre de diagnostic et de traitement intégré (CDTI), communément appelé l’Hôpital Sacré-Cœur, à l’avenue Charles Sumner.

« La situation du pays devient plus que préoccupante, mentionne le professeur Frid Bien-Aimé. L’éducation est un pilier majeur du développement. Il ne peut y avoir une éducation de qualité sans l’enseignement fondamental. Il faut donner au CFEF sa vraie place dans l’amélioration de la qualité de l’éducation dans le pays ».

Photos: Mardochée Gédéon

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