Uni FM, 102.7.- Dans peu de temps Haïti va commémorer le 219e anniversaire de l’Indépendance. Probablement, le Premier Ministre, Ariel Henry, va devoir rendre hommage aux Pères de la Patrie au Musée du Panthéon National (MUPANAH). Peut-être, en leur faisant une offrande florale. S’il y a lieu, il prononcera un discours comme à l’ordinaire et laissera les morts ensevelir leurs morts.
La situation sécuritaire s’aggrave dans le pays à longueur de journées. L’Exécutif, le Conseil Supérieur de la Police Nationale (CSPN) et le Haut Commandement de la Police Nationale d’Haïti (PNH) sont aux abonnés absents. Un laxisme qui coûte la vie à plus d’une dizaine de personnes assassinées dans la localité de Source-Matelas par les gangs opérant à Canaan dans la nuit du 29 au 30 novembre 2022. Dans le bas-Artibonite, le gang de Savien a aussi semé la terreur en kidnappant deux bus remplis de passagers, puis violé et humilié presque toutes les occupantes de ces véhicules.
En fait, on a longtemps abandonné la voie de la normalité dans ce pays. Il y a plusieurs années que l’on n’accorde plus aucune valeur aux dates et aux lieux historiques. Il y a bien des temps qu’on commémore nos ancêtres et leurs prouesses par la fumée des caoutchoucs dans les manifestations, par des balles réelles, des jets de gaz lacrymogène, en répandant la mort et en blessant des innocents. Depuis qu’on leur dit merci à travers des slogans hostiles aux gouvernants et à la communauté internationale. Depuis trop longtemps nous banalisons la vie des gens. Nous en sommes encore là malheureusement. Nous y resterons longtemps encore, paraît-il.
Pendant ces deux derniers siècles, nous n’avons pas arrêté aucune occasion de commettre des bêtises. Nous n’avons jamais cessé de nous égorger. Nombreux sont les Présidents assassinés au pouvoir. Les coups d’État ont pullulé. La politicaillerie a marqué d’une encre indélébile notre histoire de peuple. On s’accuse l’un l’autre sans jamais prendre le temps de se mettre en question et de faire son mea-culpa. Pendant ces trente-six dernières années, on a battu tous les records. L’inflation, la dévaluation de la gourde par rapport au dollar, le banditisme, la mauvaise gouvernance, la paralysie des activités scolaires, l’insécurité alimentaire, la corruption. Bref, c’est la totale anarchie.
Combien de temps allons-nous encore devoir passer dans cet enfermement de l’esprit ? Combien de générations doit-on encore compter avant de décider que c’en est trop ? Combien de massacres de civils faut-il avoir encore pour comprendre qu’il faut arrêter l’hémorragie ? Combien de kidnappings ? Combien de politiciens et d’hommes d’affaires encore que la communauté internationale doit sanctionner ? Combien d’accords partisans doit-on signer à nouveau ?
On est enfermé dans une sorte de cercle vicieux. Les bandits n’ont pas de limites. Ils installent leurs guichets pour rançonner la population. Ils chassent les habitants de plusieurs zones. Ils abattent des policiers comme bon leur semble et, souvent, dans des conditions épouvantables. Ils prennent en otage des sous-commissariats. Ils brûlent vifs des innocents et incendient des chars blindés. Ils contrôlent la mer mieux que ne le fasse la marine nationale. Ils délocalisent le Tribunal de Première Instance (TPI) de Port-au-Prince, mettent à genoux la justice. Face à tout ça, l’Exécutif reste silencieux.
Qu’est-ce qui nous empêche de mettre de côté nos différends ? Si nous sommes incapables de décider librement, pourquoi continuer à faire semblant ? Pourquoi sommes-nous rongés par la peur de sacrifier quelques-uns de nos intérêts pour empêcher la calamité de s’abattre sur toute une population ? Que gagnons-nous en gloire et en honneur à voir des fillettes et des femmes violées systématiquement en présence de leurs enfants, parents ou maris ? À voir des familles décapitalisées obligées de payer des sommes faramineuses aux kidnappeurs ? Des compatriotes maltraités comme des animaux et refoulés comme des objets inutiles pour avoir tenté de fuir l’enfer d’Haïti ? Combien nous faudra-t-il de temps encore à subir ce tourment qui semble éternel ? Qu’est-ce qu’il nous faut pour prendre conscience ? Nous risquons la mort collective si nous ne décidons pas de dire « Halte-là ». C’est le moment ou jamais.
Lenz Beth Ferlyn Alparète