Dans l’Haïti d’aujourd’hui, tout est possible, même l’impossible. Prenons l’exemple édifiant de notre vaillant Conseil Présidentiel de Transition (CPT), dont l’agilité à contourner la décence morale dépasse l’entendement. Edgard Leblanc Fils, président déchu de ce conseil, a pris la parole le dimanche 6 octobre, afin de dénoncer la résolution hallucinante qui l’a remplacé à la tête de cette institution, tout en maintenant en poste trois conseillers accusés – accrochez-vous bien – de corruption passive. Si l’absurde était un art, Haïti en serait le musée.
D’une gravité toute calculée, Leblanc, dans une vidéo préenregistrée, a condamné cette décision qu’il estime “désastreuse”. À le croire, la majorité du CPT a eu l’audace, le 4 octobre, de désavouer toute notion de responsabilité, permettant à Smith Augustin, Louis Gérald Gilles et Emmanuel Vertilaire, accusés dans l’affaire BNC, de conserver leur place autour de la table. En effet, ces trois conseillers, fleurons de la probité douteuse, auraient exigé, selon le rapport accablant de l’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC), la somme de 100 millions de gourdes au Président de la Banque Nationale de Crédit pour prolonger son séjour en poste. Des cartes de crédit distribuées sous des conditions tout aussi troubles complètent cette fresque grotesque de malversations.
Edgard Leblanc s’était naïvement attendu à ce que ses collègues accusés se retirent, le temps que la justice éclaire leurs zones d’ombre. Hélas, ces hommes de « principes », dans une démonstration éclatante de désinvolture, ont préféré ignorer ces accusations. Et que fait Leblanc face à cette impasse morale ? Il refuse de signer la résolution du 4 octobre, naturellement ! Car selon lui, elle “affaiblit la justice” et “dévalorise l’image” du Conseil, comme si cela était encore possible.
Pendant que le CPT s’engouffre dans l’abîme, Leslie Voltaire, remplaçant providentiel, devrait prendre la tête du Conseil ce 7 octobre, éclipsant ainsi Smith Augustin qui, ironie du sort, devait succéder à Leblanc. C’est à ce moment-là qu’on nous annonce une cérémonie de passation de pouvoir pour ce lundi.
Et bien sûr, pour couronner cette pièce de théâtre tragi-comique, le Premier ministre Garry Conille, visiblement peu concerné par les affaires du pays, a préféré s’envoler vers des horizons plus exotiques, en l’occurrence le Kenya et les Émirats Arabes Unis. Un timing parfait pour rater la suite d’un feuilleton national dont la décadence n’a d’égale que l’indifférence des élites.