Food for the Poor entreprend d’evaluer les dégats. Rien ne vient indiquer pourquoi les bâtiments n’ont pas été construits selon les normes parasismiques
Rosemina Célestin avait dix ans lorsque la maison de ses parents a été entièrement détruite à Aquin lors du séisme du 12 janvier 2010. Très jeune et courageuse, la fillette qu’elle était a alors formulé une demande à des représentants de Food for the Poor, présents sur les lieux. Sa demande a non seulement été agréée, mais elle a aussi été transformée en un projet : « Reconstruire sa demeure ».
« La maison de mes parents a été reconstruite au même emplacement. Une cinquantaine d’autres logis a été construite puis offerte à des familles victimes qui habitaient la cité », affirme Rosemina Célestin, présentement âgée de 21 ans et mère d’un enfant.
Depuis, la nouvelle cité fraîchement construite à Aquin, plus précisément au poste Saint-Louis, a été baptisée cité Rosemina.
Cependant, ces constructions n’ont pas fait long feu. Onze ans après, un nouveau séisme enregistré le 14 aout dernier a défié ces bâtisses qui étaient construites en dehors des normes parasismiques par cette Organisation non gouvernementale (ONG).
Photos témoins de la fureur du séisme du 14 août dans le grand Sud
La grande majorité de ces maisons s’est effondrée. Selon Bilton Bossé, leader de l’organisation baptisée Moun lib, le drame a eu lieu notamment à cause de l’irrespect des proportions de matériaux dans les constructions.
« Il suffit par exemple de regarder les débris des poteaux et poutres de ces maisons pour voir qu’ils n’avaient pas de ciment », affirme ce notable de la zone.
C’est ainsi que depuis le séisme du 14 août, les résidents de la cité Rosemina dorment à la belle étoile. Ils sont redevenus des sans-abris, comme c’était le cas en 2010.
Mario Nicoleau est un représentant de Food for the Poor. Il explique que l’ONG veut comprendre la situation. « Nous allons (…) déterminer qui étaient les leaders communautaires et les membres de la supervision technique qui étaient responsables au moment de la construction et de la mise en opération. S’ils sont encore disponibles, nous ne manquerons pas de les interviewer. »
L’institution œcuménique reste sensibilisée sur la question. « Nos déplacements sont rendus difficiles par l’insécurité, dit Nicoleau. Food for the Poor a déjà une équipe qui sillonne la région et qui, nous l’espérons, pourra dans les jours qui suivent compléter une évaluation des dégâts. »
Encore victimes
Deux pièces, un foyer, une galerie située par-devant et une autre en arrière : telle est l’architecture de toutes les maisons construites par Food for the Poor dans la cité.
Des rumeurs font état de détournement d’une partie des matériaux destinés au projet. Vivant à Aquin depuis 1987, Udovic Petizo ne peut confirmer l’information. Mais pour avoir habité l’une de ces maisons depuis qu’elles ont été remises à leurs bénéficiaires respectifs, il reste convaincu que celles-ci n’étaient effectivement pas assez solides.
Petizo, Rosemina Célestin et plusieurs centaines de personnes de la zone se retrouvent sans abris depuis mi-août.
« En 2010, la situation était très difficile pour mes parents, se souvient Célestin. Ils avaient tout perdu. Ils étaient à bout ». « C’est aujourd’hui mon tour », ajoute-t-elle toute amère.
Marchande de poissons et de divers autres fruits de mer, Amélita Léonard ignore elle-même par quel sentiment se laisser envahir. Trois de ces cinq enfants se sont retrouvés sous les décombres à Rosemina le matin du 14 août. « J’étais assise sur la galerie de devant avec mes deux plus petit, raconte-t-elle. Tous les autres dormaient encore à l’intérieur lorsque la terre se mit à trembler ».
Léonard eut à peine le temps de réagir quand sa maison s’est effondrée. Ses trois enfants en plus de son grand frère, sa petite sœur et sa belle-sœur qui vivent avec elle se sont retrouvés piégés sous les décombres. « Tous y ont été retirés après. Ils étaient blessés. Mais rien de bien grave pour inquiéter quiconque ». La dame avoue être triste d’avoir tout perdu. Elle se réjouit de voir tous ses enfants en vie. C’est une chance que tous les autres habitants de la cité Rosemina n’ont pas eue, puisqu’il y a environ cinq personnes qui y sont mortes sous les décombres des autres maisons, selon Petizo.
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Une information que reprend Nadia Dominique, une autre habitante de la Cité qui dit compter la fille de sa voisine parmi les victimes. S’agissant de ses deux enfants à elle et à son mari, ils se portent bien. Mais, elle n’est pas pour autant au bout de ses problèmes.
Commerçante, Dominique va régulièrement vendre à Cavaillon. Là, elle a l’habitude d’y laisser sa marchandise dans un dépôt. Sauf que pareillement à sa maison, le dépôt a été entièrement détruit. Une double perte qui désespère la trentenaire puisqu’elle devra payer à l’État une forte somme qu’elle n’a plus les moyens d’obtenir. « Je ne peux même pas compter sur mon mari parce qu’il travaillait dans une banque borlette qui a également été détruite », lâche-t-elle, les deux pieds enflés à cause de sa grossesse de six mois.
Certaines des maisons n’auraient pas été finalisées par l’ONG. Selon Rosemina Célestin, le Projet a vu le jour grâce à sa demande et pourtant, la construction de la maison de ses parents n’avait pas été achevée. Et elle est loin d’être la seule à se plaindre. « L’ONG a fait uniquement le sol de ma maison, dit Dominique. Lorsque le projet s’est arrêté, on avait dit qu’on allait le relancer, mais cela n’a jamais eu lieu. J’ai moi-même finalisé la construction de ma maison en 2016 ».
Udovic Petizo aussi affirme avoir lui-même finalisé la construction de sa maison. Selon ses dires, « un embouteillage » a occasionné l’arrêt du Projet. Les gens voulaient tellement réussir à obtenir une maison que « certains n’ont pas attendu que la leur soit complètement construite pour y habiter », dit-il.
Situation inquiétante
Que l’État, la société civile ou qu’une Organisation non gouvernementale leur vienne en aide, les victimes de la cité ne demandent pas mieux. Parce qu’avec la destruction de leurs habitats, ce sont tous leurs projets qui se révèlent anéantis. À commencer par ceux des plus jeunes.
La rentrée scolaire est pour le mois prochain, selon la dernière décision étatique. Mais pour Francienne David, 50 ans, la population d’Aquin ne pourra pas envoyer leurs enfants à l’école.
« J’avais déjà acheté les toiles d’uniforme que j’avais remises à un couturier, assure Dominique Nadia. Il se trouve que la maison de celui-ci a été détruite elle aussi. Tout se retrouve sous les décombres ».
Sauf que malgré son cas, la dame enceinte révèle que le directeur d’école de son fils lui a dit qu’il ne peut encore lui promettre qu’il acceptera celui-ci sans uniforme.
« Je n’ai pas encore les moyens d’acheter des vêtements à mes enfants pour les envoyer en cours. Mais je suis quand même allée le voir juste pour savoir. Je lui ai expliqué la situation, mais il m’a dit qu’il ne sait pas encore s’il va pouvoir accepter ».
Quant à Sherline Dorcélus, c’est l’idée de savoir que ses enfants seront assis dans un bâtiment fissuré qui la tourmente. « La terre continue de trembler de temps en temps. L’école n’a pas de cour. Je ne serai pas en paix ».
Depuis bientôt un mois, les victimes occupent un terrain en face de la cité. Certains ont récupéré les tôles de leurs maisons détruites, d’autres se servent de « prela » pour se construire un abri.