Dans une petite salle de classe d’une école, le décor est austère. Les bancs, usés par des générations d’élèves, semblent à peine tenir debout. Un jeune garçon, parmi quatre-vingts autres, s’efforce de suivre les explications d’un enseignant épuisé. La craie crisse sur un tableau noir fissuré. Les manuels scolaires, lorsqu’ils existent, sont souvent déchirés, leurs pages éparpillées comme de vieux haillons sur les tables.
Aucune tablette, aucun ordinateur. L’internet est une chimère pour ces enfants. Les ressources se font rares, et l’enseignement se résume souvent à une lutte quotidienne pour maintenir un semblant d’ordre dans un chaos ambiant.
Le silence pesant qui plane sur la classe reflète l’épuisement collectif. D’un côté, un professeur débordé, incapable de répondre aux besoins spécifiques de chaque élève ; de l’autre, des enfants assoiffés de connaissances, mais accablés par des conditions matérielles désastreuses.
À des kilomètres de là, un autre garçon évolue dans un univers complètement différent. Inscrit dans un établissement renommé, il bénéficie d’un environnement où presque rien ne manque : des salles de classe spacieuses, des équipements dernier cri, et des enseignants hautement qualifiés. Chaque élève dispose de manuels neufs, de tablettes connectées et d’un accès à des plateformes éducatives sophistiquées. Pour lui, l’avenir semble tracé : universités prestigieuses et carrières prometteuses. Un monde d’opportunités s’ouvre à lui, sans qu’il ne se questionne sur la chance qu’il a de vivre dans un tel confort.
Ces deux réalités ne sont pas simplement des exceptions, mais un reflet des inégalités sociales qui s’enracinent de plus en plus dans nos sociétés. Le fossé entre les élèves est bien plus qu’une simple question matérielle : il incarne un écart d’opportunités, de perspectives, et même de rêves. D’un côté, des enfants dont l’avenir est compromis dès leur plus jeune âge faute de moyens ; de l’autre, une élite qui, souvent, ignore que sa réussite est facilitée par les privilèges dont elle bénéficie. Ainsi, l’éducation, qui devrait être un droit fondamental et un levier de justice sociale, devient un miroir grossissant des disparités de notre société.
Le droit à l’éducation est-il véritablement universel ? En théorie, oui, comme le stipulent la Déclaration universelle des droits de l’homme et la Convention relative aux droits de l’enfant. Mais la réalité est bien différente. En Afrique subsaharienne et en Asie du Sud, des millions d’enfants n’ont pas accès à l’éducation en raison de la pauvreté, des conflits, des discriminations et de politiques défaillantes. En Europe et en Amérique du Nord, les inégalités existent aussi, notamment entre les zones urbaines et rurales, ou entre les différents groupes socio-économiques.
Les chiffres sont alarmants. En 2023, l’UNESCO a recensé 250 millions d’enfants et d’adolescents non scolarisés, et dans les crises humanitaires, l’éducation est souvent la première victime. Ainsi, bien que le droit à l’éducation soit inscrit sur le papier, il demeure un rêve lointain pour beaucoup. L’augmentation constatée depuis 2021, selon l’ONU, résulte en partie de l’exclusion massive des filles et des jeunes femmes du système éducatif en Afghanistan, mais elle est également attribuable à la stagnation persistante des avancées éducatives à l’échelle mondiale.
D’après le Rapport mondial de suivi sur l’éducation 2023 de l’UNESCO, le taux d’enfants terminant le cycle primaire n’a augmenté que de moins de 3 points depuis 2015, atteignant 87%. Pour les jeunes achevant le cycle secondaire, l’augmentation a été inférieure à 5 points, avec un taux de 58%. Dans les 31 pays à revenu faible ou intermédiaire faible qui évaluent les progrès de l’apprentissage à la fin de l’école primaire, le Vietnam est le seul où la majorité des enfants atteignent un niveau minimal de compétence en lecture et en mathématiques.
Ces chiffres illustrent une stagnation inquiétante. Le taux d’alphabétisation des jeunes n’a augmenté que de moins d’un point de pourcentage, et la participation des adultes à l’éducation (formelle ou non formelle) a diminué de 10%, une baisse principalement attribuée à la pandémie de COVID-19. Cela montre que l’éducation est particulièrement vulnérable face aux crises mondiales. Cette lente progression creuse non seulement les inégalités entre les différentes régions du monde, mais aussi au sein des pays eux-mêmes.
Cependant, la question de l’universalité de l’éducation est complexe, car elle met en lumière les défis auxquels les gouvernements sont confrontés. Dans certains contextes, la faiblesse des infrastructures, le manque de financement ou encore l’instabilité politique rendent difficile la mise en œuvre d’une éducation accessible à tous. De plus, des choix politiques favorisant l’élitisme ou l’austérité budgétaire peuvent accentuer ces inégalités.
Face à des défis mondiaux comme les crises économiques, les conflits et les changements climatiques, il est essentiel de renforcer l’éducation pour préparer les jeunes à s’adapter et à prospérer dans un monde en constante évolution. Si les progrès restent aussi lents, cela compromet la capacité des sociétés à répondre aux enjeux du futur.
Malgré ce tableau sombre, la situation n’est pas irréversible. Des initiatives existent pour réduire ces écarts, telles que le programme “Écoles du Futur” en Colombie, qui vise à offrir une éducation de qualité aux enfants des zones rurales grâce à des outils technologiques. De même, au Rwanda, le programme “One Laptop per Child” a permis à des milliers d’enfants d’accéder à une éducation numérique. Cependant, ces initiatives, bien qu’encourageantes, restent insuffisantes face à l’ampleur des besoins. Elles démontrent néanmoins qu’un engagement fort et une volonté politique peuvent faire une différence.
Il est urgent que les pouvoirs publics, en collaboration avec les organisations internationales et les communautés, se mobilisent pour garantir à chaque enfant une éducation de qualité, où qu’il soit et quelles que soient ses origines. Investir dans l’éducation, c’est investir dans l’avenir de l’humanité. Cela nécessite non seulement des ressources financières, mais aussi un engagement durable à lutter contre les inégalités systémiques qui minent notre société.
Car, au-delà des chiffres et des statistiques, ce sont des vies humaines qui sont en jeu, et avec elles, l’avenir de notre société tout entière.
Robenson D’Haïti