Dener Ceide

Dener Ceide naît à Cherettes, une localité de Saint-Louis du Sud en 1979. Artiste dans l’âme,

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Pour les victimes du séisme, les nuits sont très longues

Pour les victimes du séisme, les nuits sont très longues

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Des gens dorment dans les rues, alors que la pluie et les répliques se font pressantes. Mais des citoyennes et des citoyens se mobilisent pour leur venir en aide.

La nuit est déjà tombée, ce samedi 14 août 2021. C’est une date qui fait désormais tâche, comme celle du 12 janvier 2010. Pour les mêmes raisons, d’ailleurs. Comme il y a 11 ans, un séisme a éventré la terre. Cette fois c’est le grand Sud d’Haïti qui paie les frais de la colère de la nature.

Dans une petite avenue aux Cayes, à l’angle des rues Alexandre Pétion et Monseigneur Maurice, des dizaines de personnes sont éparpillées. Certaines sont par terre, assises, d’autres sur un matelas qu’ils ont sorti de leurs maisons fissurées. Des bâches en plastique recouvrent une partie de la rue, pour se protéger un tant soit peu du soleil.

Il y a des enfants aussi, plusieurs. Le plus petit est un nourrisson de sept mois. Son innocence n’est égalée que par le désespoir de la situation dans laquelle il se trouve.  Les plus grands sautent à la corde, tentent de s’amuser. Mais sur leur visage, le sourire est empreint de tristesse. Ils sont dans la rue depuis le matin, avec leurs parents.

Les gens dorment dans la rue.

Dans un coin de la rue, une jeune femme est assise sur une chaise, les deux pieds sur un autre siège en face d’elle. Un drap recouvre ses membres inférieurs. C’est Fedia Pierre Louis, une Cayenne qui vit à Port-au-Prince, mais que la pandémie du Covid 19 a contraint à revenir dans son terroir. Sa maison se trouve dans le quartier aussi. Une maison de trois étages, et sa chambre est située au dernier. 

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Quand le séisme a frappé, elle n’a même pas su comment elle est arrivée au bas de la rue. La maison n’a pas été détruite, et les autres occupants, dont sa mère, sont indemnes. Mais parce que c’est une maison construite en hauteur, elle refuse d’y rester.

Téléphone à l’oreille, elle est en train de nous accorder une entrevue, pour expliquer son appréhension face à la nuit qui arrive. La première après le séisme. Soudain des chiens se mettent à aboyer à l’unisson. Cinq secondes plus tard, la terre gronde à nouveau. Une clameur s’élève dans la rue entre les réfugiés. « Elle tremble, elle tremble encore, et elle tremble fort », murmure Pierre Louis dans le répondeur.

Sa voix est étrangement calme, mais ce calme est trompeur. « Je ne peux plus parler, dit-elle enfin, après un instant de silence. Je n’en peux plus. Je crois que nous devons remettre tout cela à demain. »

Il est 11 heures du soir environ, et la ville des Cayes vient de ressentir une réplique plus forte que les autres, que l’on ressent jusqu’à Port au Prince.

Des nuits difficiles

C’est le dimanche 15 août que l’entrevue reprend. Fedia Pierre Louis est plus reposée, mais elle n’a pas fermé l’œil de la nuit. «Je n’y arrivais pas, explique-t-elle. Certains ont pu dormir, mais du coin de l’œil. Des enfants n’ont pas dormi  non plus. J’ai un neveu qui est éveillé jusqu’à présent.»

La deuxième nuit s’annonce tout aussi incertaine que la première. Dans la rue, il n’y a pas beaucoup de dégâts, sinon quelques maisons effondrées. Mais la plupart de celles qui restent encore debout sont fissurées, et leurs occupants ne comptent pas y dormir. Dans cette rue comme dans beaucoup d’autres, le courage ne fait pas le poids face à la prudence. Cette fois, des amis de Fedia sont là. «Je ne sais pas si je dormirai, mais on va passer le temps, se raconter quelques blagues», dit-elle.

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Sa mère, elle, assure que ce soir c’est dans sa maison qu’elle dormira. Fedia Pierre Louis n’en a pas encore le courage. « Pour rien au monde je ne le ferai, affirme-t-elle, résolue. Peut-être dans une semaine, le weekend prochain.»

La petite rue est éclairée par quelques ampoules. Heureusement il n’y a pas de moustiques. Mais le froid de la nuit fera bientôt sentir ses premières morsures. La nuit sera longue, comme elle l’était le jour précédent, et peut-être pour quelques jours encore.

De fortes pluies ont déjà commencé à tomber sur le pays. Des images satellites montrent que la dépression tropicale Grace est passée directement sur les zones déjà affectées par le séisme. La troisième nuit a été la pire. «Je suis restée debout toute la soirée, sous une galerie, dit-elle. Il pleuvait et il y avait de forts vents. Ma mère s’est résignée à dormir dans la maison, elle ne m’écoute pas.»

Selon Silvera Guillaume, le responsable de la Protection civile dans le Sud, des abris sont disponibles mais il y a une réticence à y aller, car ils sont en béton pour la plupart. «Les gens sont encore dans les rues, se plaint-il. Il y a des probabilités aussi que des personnes soient encore sous les décombres; on continue de déployer nos équipes pour aider.»

Besoins urgents

Le tremblement de terre a eu lieu un samedi, et même s’il n’y a jamais de bon jour pour un séisme, c’était le pire de tous. « D’habitude, c’est le samedi que ma mère va au marché, pour préparer des provisions pour la semaine», explique Pierre Louis.

Personne n’était prêt et maintenant que la catastrophe a eu lieu, les vivres commencent à manquer. « Samedi, j’ai pu manger une banane, grâce à ma mère. Ce dimanche, les gens se sont mis en commun pour voir ce qu’ils pouvaient cuire. Ils font preuve d’une belle solidarité.»

L’eau aussi devient rare. Trouver de l’eau potable relève du miracle depuis ce samedi 14 août, tant dans la ville des Cayes que dans d’autres localités environnantes comme Cavaillon. La soif menace. «Après la première secousse, de l’eau a jailli d’un puits artésien qu’il y a dans la cour. C’est grâce à cette eau que l’on peut se laver, ou faire à manger. Mais bientôt, peut-être qu’on sera obligés d’y mettre des produits pour la rendre potable», se demande-t-elle.

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De l’aide internationale commence à entrer dans le pays, venant du Venezuela, des Etats-Unis, de la République dominicaine ou du Chili. Mais rien de concret n’est encore arrivé dans la rue de Pierre Louis. « Nous avons seulement vu des agents de la protection civile, regrette la jeune femme. Ils passaient pour donner des conseils. Ce sont eux qui nous ont donné quelques bâches contre le soleil. J’essaie comme une folle de trouver une tente, mais je n’y arrive pas.»

Une mobilisation nationale sans précédent se précise de plus en plus. Elle vient de citoyennes et de citoyens qui se mettent disponibles pour récolter des vêtements, des produits de première nécessité etc, pour le compte des victimes. Les réseaux sociaux jouent un grand rôle dans la collecte de ces biens. Plusieurs entreprises de transport proposent de les apporter gratuitement dans les zones sinistrées.

Par ailleurs, les prix des produits de première nécessité semblent vouloir grimper en flèche, selon Darlens Eliassaint, historien, qui habite à l’entrée de la ville des Cayes. «Bien avant le séisme, à cause de l’insécurité à Martissant, les prix surchauffaient. Mais maintenant, si aucune intervention n’est faite, je crois que nous allons connaître des jours très difficiles», soutient-il. 

Traumatisme renouvelé

Les dernières 48 heures sont parmi les pires de sa vie, selon Fedia Pierre Louis. C’est la seconde fois qu’elle se sent autant sur le choc, après une mauvaise expérience subie quelques années plus tôt. « Beaucoup de choses me passent par la tête quand je regarde les bâtiments autour de moi, avoue Fedia Pierre Louis. Je perds l’équilibre quand je me mets debout. Dans mon esprit, c’est comme si je vivais exactement les détails du séisme. Et j’éprouve alors la même sensation d’angoisse.»

C’est l’une des conséquences d’un syndrome de stress post-traumatique, selon Jeff Cadichon, psychologue. « C’est ce qu’on appelle un syndrome de répétition, dit-il. Ces hallucinations peuvent être visuelles, auditives etc. Des images qui ont rapport à l’évènement montent brusquement à l’esprit de la personne, sans qu’elle puisse les contrôler.»

Dans sa tête, Fedia Pierre Louis ne cesse de lutter entre cette partie d’elle qui lui fait croire qu’un nouveau séisme vient de se produire, et l’autre qui essaie de lui faire comprendre que ce n’est pas le cas. « Je suis fatiguée mentalement, soupire-t-elle. Je crois que je vais recommencer à voir mon psy. D’ailleurs je le conseille à tout le monde.»

Mais entretemps, un quartier des Cayes, à l’instar de centaines d’autres dans tout le Sud du pays, s’apprête à affronter une autre nuit post-séisme. Le bilan de la catastrophe, quant à lui, ne cesse d’augmenter. 

Le plus récent décompte affiche plus de 1400 personnes décédées, des blessés par centaines, des maisons complètement effondrées ou encore des routes bloquées par des glissements de terrain. Un risque accru d’inondations et de coulées boueuses est à prévoir pour plusieurs zones, de Camp-Perrin jusqu’aux Cayes, selon une note d’information à destination de la Direction de la Protection civile.

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