L’ancien directeur part sur un échec une nouvelle fois. Il a pourtant été remercié par un nouveau poste dans la diplomatie haïtienne.
Il y a près d’un an, en novembre 2020, Léon Charles était installé comme directeur général de la Police nationale d’Haïti. Dans son discours lors de l’installation, il a assuré que l’insécurité que vivait le pays allait prendre fin.
« Toutes les zones du pays doivent être accessibles. Il n’est pas question que les groupes armés prennent d’assaut certaines zones au détriment de la population. Les actes malhonnêtes, le kidnapping, l’assassinat, le viol, le vol… doivent cesser », déclarait-il.
Onze mois après, le 21 octobre 2021, Léon Charles démissionne sans avoir pacifié les zones de non-droit et mis fin aux actes de banditisme qui terrorisent au quotidien la population Haïtienne. Rares sont les interventions policières qui ont été exécutées avec succès depuis l’arrivée de l’ex-directeur général au sein de la PNH.
Dans la foulée, l’histoire retiendra que l’ex-président haïtien Jovenel Moïse a été assassiné dans sa résidence privée à Pèlerin 5 pendant que Léon Charles était aux commandes de la PNH. Une première depuis la création de l’institution en 1995.
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« La PNH est à présent démobilisée et démotivée. Beaucoup de policiers laissent le pays en raison de l’insécurité et du comportement des hommes politiques qui refusent que des bandits soient neutralisés», dénonce Pierre Espérance, coordonnateur du réseau national de la défense des droits humains (RNDDH).
Pierre Espérance croit que Léon Charles a eu un bilan désastreux à la tête de la PNH. Mais l’ex-directeur n’en est pas à son premier échec. C’était aussi le cas en 2004, alors qu’il tentait vainement de mettre fin à l’Opération Bagdad, pendant laquelle les cas d’enlèvements et les actions d’éclat des bandes armées étaient en hausse.
Des taches indélébiles
Dès son entrée en fonction, Léon Charles s’était lancé dans des attaques contre les gangs. Il s’est accordé un satisfecit pour des opérations menées au bas Delmas, à Village de Dieu et dans d’autres zones réputées dangereuses du pays. Il a connu le revers de la médaille en mars 2021 au Village de Dieu.
Une opération a mal tourné pour des policiers pris au piège par le gang de ce quartier dirigé par Izo. Ils ont été tués malgré leurs demandes de renfort formulées via leur radio de communication. Un blindé de la PNH a été saisi par les bandits après cette opération.
« Cette intervention a affecté l’institution sur le plan psychologique, puisque les agents victimes faisaient partie du corps d’élite de l’institution. Après cette attaque, les bandits ont repris confiance et n’ont plus peur d’affronter les blindés de la PNH», analyse Gédéon Jean, directeur exécutif du Centre d’analyse et de recherche en droit de l’homme (CARDH).
Toutes les zones du pays doivent être accessibles. Il n’est pas question que les groupes armés prennent d’assaut certaines zones au détriment de la population. Les actes malhonnêtes, le kidnapping, l’assassinat, le viol, le vol… doivent cesser
Les gangs ont aussi paralysé les routes menant dans le département du Sud, pendant le mandat de Léon Charles. La guerre des gangs pour le contrôle des territoires dans le quartier de Martissant paralyse jusqu’à présent la circulation sur cet axe routier. La PNH n’a pas pu rétablir l’ordre dans ces quartiers durant cette guerre. Après le séisme du 14 août dernier, les gangs ont offert une garantie que l’État avait échoué à donner: ils ont permis aux convois humanitaires à destination du grand Sud de passer.
A date, aucun de ces groupes armés n’a été démantelé par la Police. Les gangs se sont multipliés, et se renforcent en toute quiétude. Ils défilent au quotidien dans les rues et multiplient les enlèvements sous les yeux de la PNH. Aucune intervention musclée n’a eu lieu dans le fief des gangs dans lequel sont séquestrées les personnes enlevées.
Lutte contre la SPNH
L’ex-directeur Léon Charles a cependant connu quelques succès à la tête de la PNH. Parmi les coups réussis, le présumé chef de gang de Delmas 95 Ernst Julmé alias ti Greg a été arrêté au cours d’une opération menée par des agents de plusieurs unités spécialisées. D’autres présumés bandits comme Manilo, membre du G9 et 2e chef du gang « Krache dife » opérant au Bel-Air, ainsi que Arnel Joseph, ex-chef de bande au Village de Dieu, ont été tués lors d’interventions policières.
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D’un autre côté, selon le responsable du RNDDH, Léon Charles n’a jamais eu le courage de défendre le droit des policiers. « L’ex-DG de la PNH avait qualifié de terroristes les membres du syndicat de la Police nationale d’Haïti (SPNH), alors les membres du gang G-9 an fanmi e alye n’ont jamais été qualifiés de la sorte », fait savoir Pierre Espérance.
Selon lui, les policiers qui se sont regroupés autour du SPNH avaient agi selon les prescrits de la Constitution en vigueur qui prescrit que la liberté syndicale est garantie et que tout travailleur, qu’il soit public ou privé, peut adhérer au syndicat de ses activités professionnelles pour la défense de ses intérêts de travail.
Pour Pierre Espérance, Léon Charles n’avait nul droit de persécuter des policiers faisant partie de ce syndicat. Leurs revendications sont foulées aux pieds et certains ont été mis en prison, révoqués alors que d’autres finissent par abandonner l’institution à cause des représailles.
Depuis des années, l’institution policière fonctionne en sous-effectif. Les difficultés financières auxquelles fait face la PNH, couplées au manque de matériels sont parfois des éléments évoqués pour tenter d’expliquer la faiblesse de l’institution dans le combat contre la criminalité en Haïti. Pierre Espérance croit le contraire. « Peu importe l’effectif et la quantité de matériels mis à la disposition de la PNH, l’institution ne produira pas de vrai résultat tant que les autorités politiques ne coupent pas les ponts avec les gangs », dit-il.
Le CSPN est aussi responsable
Le bilan catastrophique de Léon Charles ne peut pas être pris de manière isolée. L’aspect socio-politique doit être aussi pris en compte. « L’échec de Léon Charles est aussi l’échec du Conseil supérieur de la police nationale (CSPN) qui définit, entre autres, les stratégies et politiques de sécurité qui devraient être adoptées. Le directeur de la PNH ne représente que le bras opérationnel du CSPN au sein de l’institution policière », explique Gédéon Jean.
Plus loin, le directeur exécutif du CARDH indexe le défunt président Jovenel Moïse comme responsable de la faillite extrême de l’institution. Il n’a pas accepté les efforts de dépolitiser l’institution. « Le défunt président avait pris un arrêté en 2018 pour limiter certaines mesures que doit prendre le DG de la PNH dans ses fonctions pour contrer l’insécurité », relate-t-il.
Selon cet arrêté paru en date du 23 mai 2018, les décisions concernant les nominations ou transferts au niveau des directions centrales et départementales de la PNH doivent être soumises à l’approbation du CSPN. D’autres dispositions qui étaient jadis du ressort du directeur général de la PNH sont aussi révisées dans ce décret.
Selon Gédéon Jean, la police est fortement influencée par la politique. « Les directeurs Normil Rameau et Léon Charles ont hérité de ce système et ils ne pourraient rien faire sans l’approbation des hommes politiques », dit-il. À cet effet, Pierre Espérance présume que Haïti a besoin d’un nouveau régime qui détient la capacité de renforcer la PNH au lieu de faire alliance avec les gangs. « Les autorités étatiques doivent cesser d’utiliser les ressources de l’Etat au profit des gangs pour terroriser la population », affirme-t-il.
Emmanuel Yves Moise
Crédit photo: Juno7