« Il y a certainement des aides qui sont venues, mais la réponse n’est pas proportionnelle à la catastrophe, se plaint Silvera Guillaume, responsable de la protection civile dans le Sud. Sur environ 35 ONG qui sont sur le terrain, seulement une dizaine a en réalité les moyens qu’il faut. À cause de cela, des zones restent encore démunies »
La 3e section communale de Jonc Tiby, à Camp Perrin, ressemble en grande partie à un territoire ravagé après-guerre. La plupart des maisons sont des vestiges qui rappellent vaguement que des gens y vivaient avant. Avant le séisme du 14 aout. Raymond Hubert Thermidor est né en 1954. Du haut de ses 67 ans, il n’a jamais vu pareille catastrophe dans la localité qu’il a connue toute sa vie.
Thermidor a maintenant tout perdu, comme des milliers d’autres gens. Maison, jardin, bétail, en l’espace de quelques secondes, tout s’est envolé. « J’ai perdu mes deux vaches, dit-il, et c’est réellement tout ce que j’avais. »
Il est cultivateur, et se préparait justement à récolter quelques denrées, qu’il irait vendre à Camp-Perrin. « J’avais planté du pois, surtout. Avant le séisme, cela ne me rapportait pas gros, et parfois je perdais plus que je gagnais. Mais c’était quand même une activité. Avant, quand j’étais plus fort physiquement, j’étais maçon. »
Depuis plus de quinze jours, Thermidor déambule dans les rues, à la recherche de nourriture et d’eau. « La ravine du Sud était en crue et on ne pouvait pas nous venir en aide. Il n’y a plus de nourriture. Les jardins sont détruits. On n’a plus d’eau non plus et on est obligés de boire l’eau de source qui coule encore. Ce matin quelqu’un m’a donné un sachet d’eau, et c’est un grand geste pour moi. »
Aujourd’hui, certaines organisations internationales arrivent à passer et apportent du matériel et quelques denrées, mais elles ne sont pas suffisantes. Et, explique Thermidor, son âge ne lui permet plus de se frotter aux jeunes hommes plus forts, qui récupèrent rapidement l’aide. Ainsi, trois semaines après le drame, après avoir tout perdu, Raymond Hubert Thermidor n’a rien reçu et crie à l’aide.
Son cas n’est pas unique, trois semaines après le puissant séisme dans le sud du pays.
Aux abois
À Jonc Tiby, les besoins sont immenses. Cette section communale est à l’image de bien d’autres endroits reculés, dont les noms sont connus pour la première fois d’une bonne partie de la population. L’une des zones les plus touchées par le tremblement de terre, c’est la commune de Marceline, toujours à Camp Perrin. Éboulement, routes fendues en deux, le séisme a pris son temps pour laisser des marques indélébiles de son passage. Depuis, des centaines d’organisations et de personnes se sont mobilisées pour apporter leur aide.
Pourtant, selon Fenicile Massius, mairesse de la commune, les besoins sont loin d’être comblés. « Il y a des personnes dont on ne sait toujours rien, dit-elle. Par exemple celles qui habitent la 3e circonscription, dans la zone de Garat. À cause du mauvais état des routes, personne ne peut passer pour le moment. »
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Mais surtout, la mairesse se plaint de l’absence de l’État central dans la réponse post-séisme. « Rien ne nous est venu de l’État, affirme-t-elle. Des organisations sont arrivées. Certaines sont venues à la mairie pour nous demander où elles devaient intervenir, mais les autres font ce qu’elles veulent. » L’aide est mal redistribuée, se plaint la mairesse.
Silvera Guillaume, responsable de la protection civile dans le Sud, confirme que les choses ne sont pas roses, trois semaines après. « Il y a certainement des aides qui sont venues, mais la réponse n’est pas proportionnelle à la catastrophe, se plaint-il. Sur environ 35 ONG qui sont sur le terrain, seulement une dizaine a en réalité les moyens qu’il faut. À cause de cela, des zones restent encore démunies », dit-il.
Aide insuffisante
Les rues sont encore la chambre de centaines de personnes. Par manque de bâches, elles s’abritent contre le soleil sous des draps. Mais la saison cyclonique est en plein déroulement et les pluies se font menaçantes. « J’étais responsable de la réponse à l’ouragan Matthew dans la Grande-Anse, et je peux vous dire que c’est beaucoup plus compliqué de gérer un séisme, reconnaît Guillaume. Nous avons besoin de bâches. Et nous ne voulons pas installer des gens dans des tentes, qui vont devenir des camps. »
À Jonc Tiby, Jean Jonas Piard, un responsable dans une organisation locale, craint que la famine ne commence à s’installer. « Les gens viennent nous trouver et nous n’avons rien à leur donner. Nos appels au maire sont restés sans réponse. Et il y a des enfants qui souffrent de faim en ce moment. Je fais des dettes pour leur acheter quelques bonbons, c’est tout. »
Dans le département des Nippes, très touché après le tremblement de terre, Christella Saintulaire, une jeune femme, se plaint que sa famille n’ait pas reçu d’aide non plus. Tout ce dont elle a bénéficié depuis trois semaines, ce sont de quelques sachets d’eau qu’elle a été chercher chez le curé de la zone. « L’aide est très mal distribuée, dit-elle. Certains ont beaucoup et d’autres n’ont rien. J’habite à quinze minutes à pied du centre-ville, pourtant rien ne nous est parvenu. »
Selon elle, les gens se sont massés sur la place publique, et c’est là que la distribution se fait. « Si on n’est pas sur place au bon moment, on risque de ne rien avoir.» Sa famille et elle, dix personnes en tout, survivent grâce à sa tante. « Elle avait une boutique qui a été détruite par le tremblement de terre. Mais elle a tout fait pour récupérer quelques marchandises, et a partagé avec nous. Nous ne dépendons pas de l’aide grâce à cela», raconte-t-elle.
Pour faire face aux besoins, et à cette urgence qui dure, des particuliers font l’effort d’apporter des matériels et de la nourriture qu’ils ont collectés, aux victimes du séisme. Mais ce ne sont pas non plus des apports énormes, estime Silvera Guillaume. « Par exemple, une organisation est arrivée de la Grande-Anse avec une cinquantaine de kits, se rappelle-t-il. Mais la logistique qu’il a fallu pour les transporter coûte sûrement aussi cher que les contenus. C’est une aide quand même, mais elle n’est pas énorme. »
De la solidarité
Karl Kirvens Berlus et Melissa Lucien, miss Haïti Floride 2020, font partie de quelques jeunes dans la ville des Cayes qui essayent eux aussi d’apporter leur aide. Ils mettent en commun ce qu’ils ont, et ce qu’ils trouvent, pour les distribuer. Mais les besoins sont grands.
L’eau potable est difficile d’accès au centre-ville. « Bientôt, il y aura une [plus grande] pénurie parce que les tuyaux ont été coupés après le séisme dit Berlus. Il n’y a déjà plus d’électricité. De plus, les gens ont cruellement besoin d’abris. L’évaluation des maisons a commencé, on leur dit de ne pas rentrer chez eux, mais il pleut parfois la nuit. »
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Pour montrer leur mécontentement, des citoyens ont bloqué des rues. « Je passais près du cimetière récemment, et la rue n’était pas praticable. Les gens réclamaient de l’aide qui tardait à arriver auprès d’eux. Et c’est une rue vraiment fréquentée. »
Quant à Melissa Lucien, elle est rentrée expressément de Floride pour apporter son aide à sa ville. « L’émotion était vraiment forte quand j’ai vu les dégâts, se rappelle-t-elle. Ce n’étaient pas uniquement des maisons détruites. C’étaient les maisons de proches, des maisons où j’ai grandi. La première question que je me suis posée, c’est ce que nous pouvions faire pour ne pas seulement donner des bâches aux gens. »
Photo de couverture : Valérie Baeriswyl / AyiboPost