Le tremblement de terre du samedi 14 août rappelle de douloureux souvenirs à des personnes qui ont connu le séisme de 2010
Les voitures qui défilaient se demandaient peut-être ce qui s’était passé, en voyant la cinquantaine de personnes massées sur un côté de la route. Comme elles roulaient, leurs occupants n’ont probablement pas ressenti les secousses. Mais pour les habitants de Morne Lazare, une localité de Port-au-Prince, c’est un traumatisme collectif qui vient de ressurgir.
En l’espace de quelques secondes, des gens ont précipitamment gagné la rue, après que la terre a tremblé. Dans la foule bigarrée, chacun explique comment il a ressenti les secousses, comment il a pris ses jambes à son cou, de manière imprudente. Des mamans tiennent leur bébé à bout de bras. Quelques personnes n’ont que leurs sous-vêtements. Une femme qui semble perdre ses sens, n’arrête pas d’implorer Dieu de « frapper la terre encore plus fort » parce que, elle, elle se dit prête.
Ce n’était qu’une secousse faible pourtant, car l’épicentre du séisme se trouve à des kilomètres de Port-au-Prince, dans le sud du pays. Aucun dégât n’est à enregistrer. Mais pour un quartier dont plusieurs habitations avaient été détruites par le tremblement de terre de 2010, même une faible secousse est une secousse de trop dans l’esprit des habitants.
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Comme à Morne Lazare, différents quartiers de Port-au-Prince ont vu leurs occupants se précipiter dans la rue, ou dans la cour de leurs maisons. Dans la soirée, une réplique a produit les mêmes effets de panique, ou presque.
Dans la mémoire collective de la grande région métropolitaine de Port-au-Prince, ce samedi 14 août vient rappeler un jour sombre de janvier, où des milliers de personnes ont perdu la vie. Dans la soirée, des témoignages de dizaines de personnes indiquent qu’elles ont préféré dormir à l’extérieur de leurs maisons, par crainte des répliques. Port-au-Prince n’a pas encore oublié son drame.
Comme en 2010
Chloé Augustin était parmi les personnes qui sont sorties dans la rue à Morne Lazare. Elle a hésité à prendre la décision, dans la panique qui s’installait, et alors qu’une forte clameur montait des maisons voisines. «En 2010, la maison où j’habite maintenant avait déjà été détruite, raconte-t-elle. On l’a reconstruite avec de meilleures techniques pour mieux la protéger. Je ne pouvais pas me décider si je devais y rester, ou sortir et risquer que l’une des maisons aux alentours me tombent dessus en cas d’effondrement.»
Elle avoue que plusieurs émotions l’ont traversée: « D’abord j’ai eu très peur, parce que je me rappelle qu’en 2010, la secousse était faible au tout début, puis elle est montée en intensité. Je m’étais dit que peut-être que c’est ce qui allait encore se passer. »
Comme Chloé Augustin, Sophonia Garraud a revécu en quelques secondes tout le drame qu’elle a connu en 2010. Elle avait été ensevelie sous les décombres de la maison où ses parents et elle vivaient. « J’étais avec l’enfant d’un ami de la famille; elle est morte sous mes yeux, et je ne pouvais rien faire. J’ai pu m’extirper moi-même des décombres. Je m’en suis sortie avec quelques blessures», se remémore la jeune femme.
Aussi, quand dans l’immeuble où elle travaille à Pétion-Ville elle a ressenti les secousses, sa première réaction a été de sortir, non sans avoir observé d’abord. Mais pendant le reste de la journée, Garraud ne s’est plus sentie bien.
« Je pensais qu’il y aurait des dégâts. Je ne peux pas dire si c’est à cause de la secousse mais j’ai dû quitter le travail plus tôt pour rentrer. Et pendant toute la journée, je n’ai cessé de revivre avec exactitude le 12 janvier dans ma tête. Le soir venu j’ai dû dormir dans la maison parce que je ne supporte pas le froid. Mais j’ai laissé toutes les portes ouvertes», raconte Garraud.
Réactivation du trauma
Selon le psychologue Jeff Cadichon, auteur du livre Narrations du sensible, autour du tremblement de terre de 2010, ces pensées traduisent une réactivation traumatique. Cette réactivation du trauma peut se traduire de différentes manières, d’après le psychologue. «Il va y avoir des réminiscences de l’événement, explique Cadichon. La personne peut avoir des cauchemars ou des illusions sensorielles qui lui font revivre la même souffrance, ou détresse vécue lors du tremblement de terre.»
Pour les habitants de Port au Prince qui ont vécu le séisme, beaucoup ne sont pas encore guéris de ce traumatisme. « Beaucoup de gens ont été fissurés de l’intérieur, si l’on peut dire, explique Jeff Cadichon. La réactivation du trauma les a brisés à nouveau. Cette réactivation n’est pas nécessairement le fait d’un événement similaire à celui qui les a brisés. Pendant les pays lock par exemple, des gens se sont sentis comme à la période du tremblement de terre.»
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Ainsi, n’importe quel événement peut déclencher cette réactivation traumatique, si un processus de guérison n’a pas été suivi. Tandis que si la victime est guérie du trauma, elle pensera à l’événement comme à un moment difficile, mais continuera à aller de l’avant.
Se reconstruire
Loudjy Saintus est claustrophobe depuis le tremblement de terre de 2010. Elle ne supporte pas les espaces fermés. Dès qu’elle rentre dans une pièce, elle essaye de repérer les sorties. « Il n’y a pas longtemps, je devais défiler dans un hôtel de la capitale, lors d’un événement. Il y avait tellement de gens dans la salle que j’ai commencé à paniquer. Je me disais que s’il y avait un séisme, je mourrais sûrement. J’ai abandonné la salle», explique-t-elle.
A l’origine de ce trouble, il y a la mort de sa tante. « Elle est morte étouffée le jour du séisme, se souvient-elle. On peut déduire cela par la position dans laquelle on a trouvé son corps. J’ai fait toute mes études secondaires dans l’école ou le drame est arrivé, et je n’ai pas pu l’oublier.»
Saintus, Augustin et Garraud ont subi des pertes énormes, qui ont un réel potentiel traumatique. Cependant, le traumatisme post-séisme affecte aussi les personnes qui n’ont pas forcément subi de pertes lors du séisme de 2010. Elles peuvent être autant traumatisées que celles qui avaient tout perdu.
« On pense parfois, à tort, que plus une personne a connu un moment difficile lors du séisme, par exemple si elle était sous des décombres, plus elle sera traumatisée. C’est en effet un facteur de risque. Mais une personne peut être traumatisée parce qu’elle a cru sa mort imminente, et non parce qu’elle a tout perdu. », précise M. Cadichon.
Selon le psychologue, il est important de normaliser l’émotion des victimes des séismes. La peur, le manque d’appétit, la colère, tout cela est normal et il faut en parler. Le soutien familial, ou social d’une façon plus générale, n’est pas négligeable. «Les croyances des gens comptent aussi, soutient Jeff Cadichon. Il y a des personnes qui croient qu’elles s’en sont sorties parce qu’elles ont une mission à accomplir, par exemple.»
La reconstruction de la personne, à l’instar de la reconstruction des édifices, peut prendre du temps, et c’est tout un processus.