Delta est considéré à l’échelle mondiale comme étant le plus contaminant des déclinaisons de la maladie
Le ministère de la Santé publique et de la population avait annoncé avoir détecté en Haïti les variants Delta et Mu le 16 septembre 2021. Ces déclinaisons du Covid-19 ont été découvertes après environ quatorze semaines d’accalmie où les hôpitaux qui prennent en charge les infectés du coronavirus étaient quasiment vides.
« Actuellement, on observe une augmentation du nombre de contaminés au niveau des analyses réalisées, explique Jacques Boncy, directeur du Laboratoire National. Mais, on ne peut pas encore conclure qu’on a atteint un pic de la maladie. Ce constat doit être répété pendant plusieurs semaines pour pouvoir aboutir à une telle conclusion. »
Le variant Delta du Coronavirus est considéré à l’échelle mondiale comme étant le plus contaminant. Les cas positifs restent néanmoins très limités dans le pays. À date, Haïti compte 22 526 cas confirmés dont 19 902 ont déjà récupéré et 641 décès, selon le dernier bilan épidémiologique du 4 octobre 2021.
Le peu d’infections rapportées porte les citoyens à minimiser la maladie. « Mais, il est certain que le coronavirus est encore dans nos murs », affirme le directeur médical de l’hôpital St-Luc, le docteur Edson Augustin.
Les variants du coronavirus considérés comme préoccupant en Haïti sont au nombre de quatre, fait savoir Jacques Boncy. « Il s’agit des variants Alpha, Gamma, Delta et Mu. Ces mutations du virus ont été développées respectivement en Angleterre, au Brésil, en Inde et en Colombie. Mu n’inquiète pas trop, mais on surveille activement l’évolution des deux derniers variants », dit Boncy.
Le médecin biologiste relate que « delta » se reconnait par une forte concentration dans les voies respiratoires supérieures. « En plus de sa capacité rapide à contaminer, il attaque facilement les enfants. Ces caractéristiques font de ce variant le plus dangereux en termes de contamination. »
AyiboPost est allé visiter l’hôpital St-Luc pour constater l’évolution de la maladie. Cette structure hospitalière est l’un des rares hôpitaux du pays ayant ouvert ses portes pour accueillir des patients dès le début de la pandémie du coronavirus. Aujourd’hui, il est encore le seul centre communautaire gratuit à recevoir les infectés du Covid-19 pour la région métropolitaine de Port-au-Prince.
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L’unité de prise en charge Covid-19 à l’hôpital St-Luc est d’une capacité de 107 lits.
« Depuis tantôt deux semaines, on remarque une nette augmentation des cas de Coronavirus dans notre [centre], dit Edson Augustin, directeur médical de l’hôpital St-Luc. Avant l’annonce du MSPP, il y avait à peu près une vingtaine de patients. À présent, on compte trois fois plus. »
Sur le plan clinique, ce médecin rapporte qu’il n’existe pas trop de différences entre les variants de Covid-19. « En termes de contagiosité, on peut seulement déduire qu’un variant peut-être beaucoup plus agressif qu’un autre », relate le médecin.
Depuis quelque temps, le centre de prise en charge de Delmas 2, qui accueillait, à côté de l’hôpital St-Luc, les patients de Covid-19, est dysfonctionnel à cause de l’insécurité qui sévit dans cette zone. Cet espace était l’unique structure publique de la région métropolitaine.
« Toute augmentation de la maladie, quoique faible, va être remarquée à l’hôpital St-Luc puisqu’on est censé être le seul centre de prise charge communautaire à présent. Les rares unités de soins Covid-19 dans certains hôpitaux privés du pays — à la capacité est très réduite — fournissent un service payant », explique Edson Augustin.
Le spécialiste en médecine interne se montre prudent à l’idée que le variant Delta constitue un danger pour la population haïtienne. « On ne peut pas le dire puisque la population haïtienne développe, pour des raisons variables, une immunité face à la maladie, analyse Augustin. D’ailleurs, la communauté scientifique haïtienne n’a pas encore [fourni] les explications nécessaires à ce sujet. Ce cas de figure est aussi valable pour des pays de l’Afrique et certains pays de la Caraïbe. L’hécatombe annoncée pour ces pays n’est pas aussi visible que celle des pays de l’Amérique du Nord ou de l’Europe. »
Le directeur du laboratoire national parle lui aussi d’une immunité de la population face à la maladie. Mais il admet plus loin que la maladie est réelle et que la population doit être toujours vigilante face à sa propagation.
Le directeur de l’hôpital St-Luc, Edson Augustin, abonde dans le même sens. Pour lui, la présence du variant Delta en Haïti doit être le moment de sensibiliser contre la contagiosité de la maladie. « Mais, les actualités politiques liées à l’insécurité, les cas d’enlèvements et les crises pétrolières font obstruction au focus sur la maladie », dit-il.
La meilleure façon pour combattre le virus serait la vaccination. « Mais on a trop d’éléments qui ne jouent pas en notre faveur pour une vaccination à grande échelle, déclare Edson Augustin. Tout d’abord, l’hécatombe annoncée n’a pas eu lieu. Ensuite, le niveau de contagiosité demeure faible en Haïti. Il n’inquiète pas trop malgré l’inattention des gens à l’égard du port du masque, le lavage des mains et la distanciation sociale. »
Lors d’un entretien accordé à AyiboPost en juin 2021, le professeur et sociologue llionor Louis estimait que la situation en Haïti n’est pas si alarmante pour obliger la population à se faire vacciner. « À date, on n’a pas encore recensé 1 000 décès, disait-il. Le problème du pays n’est pas le Coronavirus », avait conclu le doyen élu.
Le MSPP a un système de surveillance génomique au niveau du territoire national. « On conserve un pourcentage des spécimens positifs du virus. Ensuite, on les envoie dans des laboratoires de références à l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Une fois au laboratoire, les professionnels de santé procèdent au séquençage du virus. C’est ainsi qu’on les compare avec la séquence originelle du virus pour déterminer du coup leur variabilité », raconte Jacques Boncy.
Malgré les ravages opérés par le variant Delta dans les pays d’Europe ou en Amérique du Nord, Haïti affiche à date 641 décès. Certains spécialistes remettent ces données sur la mortalité en question. « Ce sont des décès institutionnels, estime Jacques Boncy. Il existe probablement d’autres décès liés à la maladie en dehors du système hospitalier qui échappent les statistiques épidémiologiques rapportées. »
Photos: Carvens Adelson / Ayibopost